Bangkok est unique. Déchainée, exhubérante, rugissante.
S’y déplacer à vélo requiert un éveil permanent, de bonnes réserves d’adrenaline et une petite dose de folie. En heures de pointes, les artères bondées n’autorisent qu’un slalom minutieux et laborieux, inspiré des 2 roues motorisés qui ne manquent pas de cracher leur venin gazeux sous vos narines à chaque feu rouge. Les taxis, vides et pressés d’attraper leur prochaine proie ou sommés de s’arrêter en des lieux incongrus pour contenter le client roi, sont de loin les plus dangereux cohabitants de la jungle urbaine. Les bus et surtout les tuk tuk gênent bien sûr le parcours idéal empreint de fluidité du cycliste mais vous amènent le charme de la vie locale sous vos yeux. Les voitures individuelles, elles, sont aussi fades, surdimensionnées et désespérantes qu’en nos lattitudes.
Le jour, pédales en mouvement, éfigies du nouveau roi, drapeaux tricolores et étandards jaunes bouddhistes défilent aux cornières de votre regard affuté comme un kaleidoscope bien rodé. À l’arrêt, les dorures et formes serpentueuses des innombrables temples tout comme les cuisines à ciel ouvert ou les écritures sinisées de Chinatown vous attirent vers l’exotisme d’une pause future. En levant les yeux, ce que vous ferez rarement tant il est délicat de perdre le fil du traffic, ce sont les gratte ciels et les métros « hors sol », édifiés ou en cours de l’être, qui vous enchanteront ou vous indigneront selon que vos anticorps s’accomodent encore à la fièvre expansionniste asiatique ou que vous venez de terminer le dernier numéro de la Décroissance.
La nuit, si vous avez la chance de pédaler à pleine vitesse sur une allée peu fréquentée, les néons scriptés ou décoratifs vous feront peu à peu perdre pied et vous y trouverez un refuge poétique impromptu dans la moiteur toujours ambiante. Si vous êtes, à raison, de la famille des éteigneurs d’enseignes publicitaires nocturnes, vous jeter dans cette tâche serait ici totalement désespérant. Contentez-vous alors d’apprécier les stupas sublimées par leurs projecteurs qui fleurissent comme des stalagmites en bordure du fleuve sale. Ou changez de sens, sentez les derniers effluves comestibles qui triomphent de l’azote carbonisé stagnant sur l’asphalte comme un brouillard tenace. Écoutez le roulis doux des langues orientales surpassé par le cliquetis des étals en cours de rangement qui se synchronise avec celui du dérailleur de votre partenaire d’aventure.
Touchez vos freins et rassurez vous, ils tiendront autant à la prochaine alerte urbaine que dans les montagnes une fois quittée la grande ville.
Revenez à la vue, laissez votre cerveau au repos et remémorez vous la vadrouille du jour le temps d’un décompte anodin de feu tricolore.
5-4-3-2-1…Bangkok.
Sublime texte ? c’est de qui ??