Avec un titre pareil, on pourrait s’attendre à un mauvais article d’escalade. En tête ? 4c ? D’ordinaire cette cotation est synonyme de première expérience de varape plutôt que d’exploit.
Mais au Laos, la route 4c reliant Kasi à Pong-Dong n’est pas équipée de spits ni de cordes. D’asphalte plutôt, de graviers beaucoup et en guise de grimpeurs des pick-up, des mini-vans blancs de touristes, des camions surchargés et… deux bicyclettes !
23 Août 2019, plutôt en jambes et enjoués par l’incroyable environnement de la région, nous décidons de nous attaquer à la route bis. Non, non, pas la highway 13 sensée permettre aux chauffards les plus pressés de rallier Louang Prabang sans encombre. L’autre, la 4c. Yan & Brieke, nos formidables hôtes Warmshowers hollandais de Vientiane nous l’avait conseillée, pour son col merveilleux, alors allons-y !
On commence en douceur, au milieu de rizières verdoyantes et traversant deux ou trois villages paisibles. Au loin, la future autoroute Vientiane-Kunming (comprenez : le chantier chinois pharaonique du coin) s’échappe au coeur de la montagne. Ses tunnels sont à peine creusés et les ouvriers sont nombreux aux abords de sa chaussée en construction.
Quant à nous, nous commençons à serpenter jusqu’au village de Ban Thong Muead. Les virages sont rares et nos 15 bons kilos de bagages combinés à un pourcentage avoisinant les 10% nous obligent à nous en créer, des lacets. On en rit, on garde le moral et on grimpe comme des escargots. La pluie, d’abord brumisante, commence à tomber drue. La veille, nous avions croisé un compère cycliste espagnol qui, maladroit, nous avait glissé : « And you ? You are in holidays ? »
Oh que non, le voyage à vélo ce n’est pas juste des vacances !
Il nous aura fallu 4 bonnes heures pour venir à bout des 20km et 1500m de denivelé. Comme quoi le chargement joue pour beaucoup, on est loin des vitesses stratosphériques des vélos carbones sur les routes alpines. Mais qu’importent les records, c’est un tout autre accomplissement de passer le col avec sa « carapace », si loin de chez nous et à deux !
Nous faisons une halte nouilles instanées et soda (faute de mieux) au col et entamons une magnifique descente, ponctuée de quelques « coups de culs » impromptus qui finissent de consumer nos cuisses. La vallée se réouvre, le ciel aussi et nous atteignons Namuang Gnai à 16h, les freins bien chauds et des paysages plein la tête ! La Guesthouse est simple mais verdoyante et bienvenue, demain nous reprendrons pour 65km de bosses descendantes jusque Luang Prabang.
Fatigué mais heureux, je relis ces lignes de Paul Fournel (« Besoin de vélo », Seuil, 2001) :
« Il y a dans le vélo une relation animale au monde : les montagnes que l’on voit sont à escalader, les vallées sont à dévaler, les ombres sont faites pour se dissimuler et pour s’étendre. Être dans le paysage, dans sa chaleur, dans sa pluie, dans son vent, c’est le voir avec d’autres yeux, c’est l’imprégner en soi d’une façon instinctive et profonde. La montagne qui se dresse devant moi n’est pas une montagne, elle est d’abord une côte à gravir, une épreuve, un doute, une inquiétude, parfois. Au sommet, elle est une conquête, une légèreté. »