Entretien avec Kazu, gérant du verger Nakagomi Orchards (complet)

Nous terminons deux supers semaines de volontariat à Minami-Alps, accompagnés dans nos tâches quotidiennes par 3 françaises, une australienne et des singapouriennes. De la vue imprenable sur le Mont Fuji au typhon 19, en passant par des journées à desherber les parcelles, nous ne nous sommes pas ennuyés ! En guise de bilan, nous avons souhaité en savoir un peu plus sur l’activité du verger et ses problématiques actuelles auprès de son gérant, notre hôte, Kazu.

Quelle est l’histoire du verger ? Quelles ont été les étapes importantes? Quand as-tu commencé à travailler dans cet endroit et à le gérer ?

L’histoire? Je ne sais pas. Peut-être des milliers et des milliers d’années. 
Au Japon, c’est à l’opposé des États-Unis, on a toujours été là. Nos parents, nos grands-parents, nos arrière-grands-parents, étaient déjà là. 

C’est donc une ferme familiale. Tes parents avaient cette ferme et ils avaient déjà des pêches, des pommes…?

Non. La culture des fruits a commencé pour la plupart dans les années 60. Certaines personnes le faisaient déjà avant, il y a 70, 80, 90 ans. Mais en tant que courant dominant, la culture des fruits a commencé dans les années 60. Avant, les gens ne cultivaient pas de fruits, ils cultivaient du riz, puis des mûriers. Des mûriers pour nourrir les vers à soie. Mais en 1974 la Chine et le Japon ont signé un accord diplomatique et commercial. Les cargots chinois ont commencé à aller au Japon faire du commerce. Cela a forcé les agriculteurs japonais à cesser de cultiver des vers à soie. Ils ont donc changé d’activité dans les années 70 et 80. Les gens ont commencé à cultiver de plus en plus de fruits et les Japonais ont commencé à manger des fruits. Ils aimaient cela. Mais à la fin des années 80, alors que les gens cultivaient beaucoup de fruits, le prix a baissé. C’était la même tendance dans de nombreux pays. Ensuite, nous avons été obligés de commencer la cueillette des fruits, comme une entreprise de loisirs.

Avant cela, tu vendais au marché ?

Oui. De l’agriculteur au marché local, du marché local à la société de livraison, de la société de livraison au marché principal, puis aux marchés intermédiaires et puis finalement au supermarché. Beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens rentrent dans la chaîne. Si votre client achete une pomme ou une pêche 200 ¥, le bénéfice sera peut-être juste de 30 ou 50 ¥. Et puis, beaucoup de choses sont exclues dans le prix. Donc le profit réel sera très faible. Maintenant, les clients viennent et cueillent directement. Donc pas d’intermédiaires du tout. Juste nous et les clients finaux.

Comment évoluent les fermes et l’agriculture au Japon ? Certaines personnes sont âgées maintenant, as-tu des jeunes à qui tu peux enseigner ?

Dans les années 70-80 tout allait bien, mais dans les années 90 une bulle s’est effondrée au Japon. Depuis, les agriculteurs vieillissent de plus en plus. Aujourd’hui, l’âge moyen des producteurs de fruits ou de tout agriculteur japonais est de 70 ans. Nous encourageons la jeune génération à prendre le relai. C’est pourquoi, comme vous pouvez le voir sur notre ferme, de nombreux jeunes viennent, ils apprennent auprès de nous. Ils aident. Et nous les aidons aussi. Mais ce type de transmission est assez rare à l’échelle du pays.

Les gens restent à Tokyo ou dans d’autres grandes villes ?

Les gens à Tokyo, ou les grandes villes comme Tokyo, veulent sortir de la ville. Ils n’aiment pas la vie en ville, ils veulent sortir du stress et de la jungle urbaine. Des espaces étroits. Tout y est cher et puis l’eau et l’air ne sont pas propres. Ils veulent avoir plus de vert, plus d’espace. Mais la réalité est difficile. Même s’ils rêvent d’emménager à la campagne, ce n’est pas si facile. Ils ont besoin de trouver un emploi, un revenu rapide. Néanmoins certaines personnes veulent vraiment aller à la campagne et ont ensuite envie de découvrir l’agriculture. Ils viennent vers nous et nous essayons de les aider.

Qu’en est-il des facteurs climatiques tels que les typhons ? Quel est l’impact du réchauffement climatique ? Vois-tu une différence par rapport aux années antérieures ?

Oui, je te donne un exemple : les cerises. Cultiver des cerises devient très, très difficile. Il y a 30 ans, si je classe en 5 catégories telles que la très bonne récolte (5), la bonne récolte (4), la récolte moyenne (3), la mauvaise récolte (2) et la très mauvaise récolte (1), une mauvaise récolte ou une très mauvaise récolte (1 ou 2) était peut-être une fois tous les cinq ou sept ans avant. Mais de nos jours une fois tous les deux ans. J’ai entendu d’autres personnes, par exemple, en Australie, dire la même chose. Et je ne parle même pas des typhons.

S’agit-il de la qualité du sol?

De la température. En ce qui concerne la culture des fruits, le mois le plus important est Avril parce que le mois d’Avril est celui de la floraison des fleurs : cerisiers, pommiers, pruniers, pêchers, poiriers. Nous pratiquons la pollinisation croisée au Japon. Dans d’autres pays, ils utilisent simplement une rûche d’abeilles. Outre l’utilisation de la rûche d’abeilles, les agriculteurs japonais font de la pollinisation à la main et ils font ce travail en Avril. Et la température d’Avril est en hausse par rapport à il y a 20, 30 ans. Pour la culture de la cerise, la température de pollinisation doit être de 15 à 20 °C. Au-dessus de 23/25 °C, même si vous travaillez dur, que vous pollinisez, cela ne peut pas marcher.

Pourquoi n’utilises-tu pas les abeilles ?

Non, on utilise des abeilles. On utilise des abeilles ! Mais elles butinent à quelques kilomètres à la ronde. Donc, si vous avez une ferme à tel endroit, si vous mettez une rûche d’abeilles, des milliers d’abeilles, vous n’êtes pas garanti qu’elles travaillent pour votre ferme. Alors qu’avec des travailleurs humains, nous avons une mémoire et nous nous rappelons quelle branche nous pollinisons. 

Mais n’est-ce pas un travail long et difficile ?

Si. Mais les Japonais sont des travailleurs acharnés. 

Et à propos du typhon lui-même ? Contractes-tu des assurances pour prévenir les dégats ?

Il y a deux ans, 80 % des pommes ont été endommagées. Cette année, la même chose. L’année dernière, environ 1000 poires sont tombées. Et beaucoup d’arbres cassés. Cette année aussi de nombreux dommages ont eu lieu, pas seulement pour les pommes. Nous avons une assurance, mais elle ne couvre pas cet incident, sauf si vous prouvez des dommages plus graves.

Peux-tu nous en dire plus sur les engrais et les pesticides ? Les utilises-tu et pourquoi ?

Basiquement, afin de cultiver des fruits, il est indispensable d’utiliser des pesticides. Il est impossible de cultiver des fruits sans l’utilisation d’un pesticide. Mais on ne peut pas choisir n’importe quel type de pesticides, le Japon est très, très strict. Par exemple, si une ferme cultive des pêches et des le voisin des pommes, les fruits sont vérifiés au hasard. Si un pesticide pour la pomme, non censé être utilisé sur la pêche est détecté sur le marché, toute la marchandise est rejetée.

Aussi, concernant la culture des fruits au Japon, dans la plupart des cas comme les pêches, nectarines, prunes, pommes, poires, raisins, nous les couvrons quand ils sont jeunes. Ce qui signifie que la plupart des pesticides sont également bloqués. C’est une différence entre les fruits japonais et d’autres pays. Pour être précis, ici les fruits sont plus savoureux, de haute qualité, plus doux et aussi plus surs.

Qu’en est-il de l’agriculture biologique? Souhaitez-vous obtenir une certification?  

Comme je l’ai dit, pour la culture des fruits, il est impossible de cultiver des fruits sans l’utilisation de pesticides. Pour les légumes, ça dépend. Les pommes de terre, carottes ou oignons, vous pouvez cultiver sans l’utilisation de pesticides. Mais pas pour les choux, les choux chinois ou la salade.

Comment vois-tu l’avenir de ton activité ? As-tu l’intention de faire croître la ferme ? Qu’en est-il des bénévoles ?

Je pense que c’est la taille maximale pour nous, tant que nous sommes une entreprise familiale. Nous, la famille, sommes environ cinq personnes plus 5 ou 7 travailleurs. Donc peut-être 10-12 toute l’année. Et de juin à septembre, le samedi, dimanche, nous embauchons peut-être cinq ou six de plus. Ce qui signifie 15-17 personnes au total.

Pour les bénévoles ils aident beaucoup pour le désherbage. Le désherbage et la tonte sont le travail de base, peu importe ce que vous cultivez. Les gens viennent de partout dans le monde, de France, mais aussi de Russie, Slovaquie, Roumanie, Hongrie, Pologne, Allemagne, des pays scandinaves. Beaucoup, beaucoup de pays asiatiques. Malaisie. Singapour. Taiwan. De Hong Kong, Thaïlande, Australie, Nouvelle-Zélande… Je reçois environ 3000 demandes de volontariat dans une année, j’en accepte peut-être 150 à 200. C’est le maximum. 

Comment penses-tu te préparer aux typhons l’année prochaine ?

C’est habituel maintenant. Nous ne pouvons pas faire autrement, ce genre de catastrophe se produira chaque année. Ce qui signifie que nous devons réfléchir à l’éventualité de dommages en Septembre et Octobre. A cause du typhon, on ne devrait peut-être plus cultiver de pomme. C’est très difficile car chaque fois on dépense beaucoup d’argent et beaucoup de temps. Et finalement on n’a que des dommages. 

Peut-être que la culture du kaki est plus facile ?

Nous faisons de la cueillette de fruits : les gens viennent chez nous et ils doivent apprécier le moment passé. Nous nous basons sur un classement : quel fruit est le plus populaire, le moins populaires. Les tendances, cependant, sont en train de changer. Il y a 30 ans, la cueillette des pommes était très populaire, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Nous devons donc nous adapter. Et comme vous l’avez peut-être remarqué, les clients sont de jeunes générations. 20 ou 30 ans, peut-être 40. Je dirais que 70 à 80% des clients sont de jeune génération. Nous devons donc voir quels fruits ils recherchent. En ce moment, la cueillette des cerises et des fraises sont les plus populaires, la cueillette des raisins et pêches ensuite. Poires et pommes, en bas du classement.

C’est la pause pour Kazu et les bénévoles !

Si vous visitez la province de Yamanashi et que vous souhaitez aider Kazu dans ses activités : https://www.helpx.net/host.asp?hostid=24462

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