Cet article n’a pas pour objectif de critiquer les modes de vie, de consommation, ou l’organisation des pays évoqués. Il constitue seulement un constat analysé sous le prisme de notre regard brut, informés ou non.
- Déchets
Ce n’est pas un scoop mais nous voulions tout de même commencer par ce sujet : nous avons observé des quantités astronomiques de déchets plastiques jetés en pleine nature tout au long du voyage. Ils se concentrent dans les périphéries des villes, quelles que soient leurs tailles mais aussi sur des routes passantes où les automobilistes sont clairement responsables.
Les milieux aquatiques sont touchés également, les cours d’eau d’abord (rivière Chao Praya à Bangkok par exemple), ainsi que les côtes maritimes (mer de Java, golfe de Thaïlande, mer de Caraïbes, golfe de Nicoya…). À tel point qu’il n’est pas rare de voir des poissons suffocants ou des oiseaux empoisonnés sur les plages. Le pays qui nous a paru le moins impacté par les rejets sauvage est le Japon. Pourtant les étales des supermarchés et marchés d’Honshu regorgent de plastique jusqu’à emballer chaque fruit séparément ou chaque friandise. La sensibilisation aux déchets semble donc être efficace (à Kyoto par exemple le sac jaune de déchet cartons s’achète et n’est fourni qu’en quantité limitée) mais on ne peut pas pour autant se réjouir de l’utilisation excessive d’emballages. Il subsiste ainsi des distributeurs de boissons en canettes et plastiques partout dans le pays.
La problématique est complexe et semble malheureusement loin de disparaître car aucune collecte n’est mise en place, ou très peu. Le plastique est arrivé trop vite dans le quotidien des locaux et personne n’est en mesure de le contenir, même autour de sa propre maison. Seuls les parcs nationaux sont relativement épargnés mais c’est l’arbre qui cache la forêt : la fréquentation ne devrait pas être le seul argument pour mettre en place des collectes et le visiteur est souvent lui aussi un émetteur important, particulièrement sur les îles qui concentrent le tourisme de masse (Bali, Perhentian, Koh Phangan, etc.).
En fin de chaîne, les principaux impactés sont les habitants eux-mêmes qui, faute de mieux, brûlent directement les plastiques à l’air libre et respirent les vapeurs associées. Les décharges sauvages ou légales poussent comme des champignons et concentrent odeurs, carnassiers, chiens errants, etc.
- Infrastructures et transports
Continuons avec ce à quoi nous avons été le plus confronté dans notre quotidien de cyclo-voyageurs : la route.
Nous avons observé de nombreuse zones de travaux de rénovation des routes mais aussi sur plusieurs rivières des constructions de barrages et dans les montagnes des gigantesques aménagements pour faire passer un train ou une autoroute (au Laos, Vietnam, Mexique et Panama).
À première vue, ces chantiers énormes nous ont impressionné par leurs proportions, leur rapidité d’exécution et leur ambition. Revers de la médaille, ils impliquent des passages incessants de camions, dangers ambulants pour le cycliste, des délocalisations de populations locales et des zones où la qualité d’air est largement dégradée (poussière ou vapeurs d’asphalte…). En terme de financement, les routes semblent généralement rénovées par les États mais également subventionnées par des pays “alliés” qui font venir leur propre main d’œuvre et installent des camps de travailleurs le long des chantiers. Le “maître d’ouvrage” étranger semble ensuite prendre en charge l’exploitation, ce qui pose des questions d’ingérence et d’autonomie énergétique…
En tout cas, c’est un mécanisme largement utilisé par la Chine dans les pays d’Asie du Sud Est et au Panama. Le Japon, les États Unis ou l’UE financent eux aussi des ouvrages plus réduits (ponts ou édifices), au Cambodge par exemple où chaque temple d’Angkor a son propre mécène international
Côté trafic, comme nous l’avons déjà précisé dans divers articles, les véhicules à deux roues motorisés sont rois en Asie ce qui représente certes une liberté de mouvement précieuse et une décongestion par rapport à l’automobile mais une vraie nuisance et une sorte d’anarchie (qui fonctionne néanmoins) en comparaison du calme relatif des vélos et des pistes cyclables européennes. On regrette bien sûr que ce dernier soit tant délaissé dans les grandes agglomérations visitées, on se demande même si il n’aura pas complètement disparu dans 20 ans 🙁
En Amérique du Nord, en Amérique centrale et dans les pays asiatiques émergents les plus “avancés” (Thaïlande et Vietnam), on peut regretter une présence importante de SUV et de Pick up. Vitesse excessive, consommation élevée de carburant et pollution de l’air sont autant d’impacts directs de ces derniers qui sont finalement rarement utilisés pour leur supposée fonction (terrains difficiles ou cargaisons spécifiques). Même chose aux USA et Mexique. Une fois de plus le Japon fait exception avec des véhicules moins larges, adaptés à leurs usages (citadines, petits utilitaires, etc.) et une vraie courtoisie au volant.
- Ressources naturelles
Les productions agroalimentaires à grande échelle, majoritairement vouées à l’exportation, se développent dans les pays que nous avons parcouru et sont polluantes.
L’exemple le plus frappant est celui de la banane. Les plantations sont très nombreuses au sud du Costa Rica et nord du Panama, elles sont constituées de bananiers disposés en rangées, traversées d’un train de récolte menant à l’usine d’empaquetage. Nous avons eu l’occasion de traverser des villes-cités de travailleurs regroupant une cinquantaine de maisons cubiques identiques positionnées non loin de l’usine. Ensuite d’énormes camions se chargent de transporter le tout aux ports (sans manquer de nous frôler), destination l’Europe ou les USA.
Outre la monoculture évidente que représentent de telles surfaces de bananiers, les plantations sont survolées une fois par semaine en moyenne par des avions d’épandage chimique. Les routes traversant les plantations sont alors déconseillées aux riverains. Cependant ce chemin étant parfois le seul lien vers la route principale, elle reste empruntée quoi qu’il se passe dans le ciel bleu au dessus des bananiers. Sans parler des canaux d’irrigation qui sont alors directement pollués et se déversent dans un cours d’eau très fréquenté par familles et enfants pour se rafraîchir.
Pour le reste, les plantations intensives que nous avons le plus observé en Asie sont celles de palmiers à huile, de caoutchouc (Indonésie, Malaisie et Costa Rica) et de canne à sucre. Le brûlis est largement utilisé bien que souvent interdit dans plusieurs régions. Le riz bien sûr, occupe aussi des surfaces importantes mais semble (en apparence en tout cas), mieux géré et moins dommageable aux écosystèmes. Enfin, nous avons rencontré de nombreux chalutiers au large de l’Amérique Centrale, il est loin d’être certain que la ressource halieutique soit gérée convenablement…
- Conditions sociales
Dans plusieurs régions visitées, nous avons pris connaissance de conditions de travail très difficiles et peu rémunérées : on peut citer par exemple la collecte et le transport du soufre dans le volcan Ijen en Indonésie, les récoltes du riz au Laos et Cambodge, le travail dans les mines d’argent au Mexique pour environ 200€ par mois, etc.
Point positif, le travail des enfants semble majoritairement interdit et contrôlé, nous avons en tout cas relevé plusieurs inscriptions publiques allant dans ce sens en zones agricoles, à l’exception des courtes périodes de récolte et de semis du riz qui occupent l’intégralité de la famille. Les secteurs industriels sont probablement plus touchés par le problème éthique et sanitaire soulevé par le travail des mineurs.
- Sociétés
Nous le mentionnions dans l’article “Borders lines”, la corruption existe encore à quelques postes frontières. Cela dit sa proportion (visible) est assez faible et nous n’avons pas recensé d’autres situations anormales dans nos vies quotidiennes de voyageurs, bien que nous soyons avertis du problème (au Mexique par exemple, des infractions injustifiées et monnayées sont pratiquées par les polices locales).
Côté climat social, à Oaxaca de Juarez, au Mexique, nous avons assisté à des manifestations pour plus de justice sociale et de replacement des familles. La situation semble néanmoins plus calme que 15 ans en arrière, avec la “Révolte de Oaxaca”.
Concernant les niveaux de vie, nous nous étonnons de la quantité assez restreinte de mendicité dans des pays réputés “pauvres” (Cambodge, Laos par exemple). Nulle part nous n’avons constaté un niveau de pauvreté similaire à ce qui peut être noté, par exemple, à New Delhi. Une explication pourrait être que les ressources naturelles sont assez nombreuses pour éviter de dramatiques situations d’insécurité alimentaire et les croissances démographiques “limitées” par rapport aux géants indiens ou chinois. La solidarité semble aussi fonctionner, comme nous avons pu le constater au Mexique à l’approche de Noël.
Les inégalités sont néanmoins réelles, visibles et les richesses sont agglutinées dans des villes à l’urbanisation galopante : Singapour, Bangkok, Panama City… tandis que les zones rurales demeurent très atypiques et préservées (nord est du Laos, région montagneuse du Panama). En villes, les vendeurs ambulants, précaires, sont nombreux et leur activité est probablement mis en danger par les enseignes capitalistes et leurs lots d’acculturation (supérette 7 eleven, KFC, Mc Donalds, …). Motif d’espoir, les marchés sont encore très fréquentés.
Paradoxalement, c’est en Californie que nous avons remarqué la plus grande quantité de personnes sans abris (hobos) et à l’évidence en difficulté
- Tourisme de masse et impacts
Selon nous, la plupart des dysfonctionnements écologiques, sociaux, économiques cités plus haut dans cet article sont exacerbés par le tourisme de masse voire même, engendrés directement par celui-ci.
Il est en tout cas certain que la dépendance forte de certains pays d’Asie du Sud Est (en Thaïlande, à Siem Reap au Cambodge, à Cat Ba au Vietnam…) et du Costa Rica au tourisme est dangereuse : à court terme, les gains économiques sont indubitables et une partie importante de la population a gagné en niveau de vie par effet domino mais à moyen terme, les impacts sur les écosystèmes risquent de s’aggraver (à titre d’exemple, on peut citer les golfs en Basse Californie qui sont à tout point de vue une aberration écologique par l’utilisation abusive de la ressource en eau).
Si par ailleurs, pour diverses raisons les fréquentations diminuent, suite à la crise COVID19 par exemple, on peut craindre de lourdes pertes économiques et donc humaines là où les tours opérateurs déserteront. Quant on sait que ces pays ont en partie abandonné certaines cultures au profit du tourisme plus rentable (le café et le cacao par exemple), ils devront peut être à nouveau diversifier leurs activités pour survivre.